mercredi 20 décembre 2006

Les moines du Val-Dieu victimes du nazisme.



Amis du net,

Voici, pour la première fois en français, un aperçu de la vie des frères Hugo Jacobs et Etienne Muhren, moines à l'abbaye du Val-Dieu, résistants et victimes de la répression nazie. Bien sûr, ces deux hommes n'ont pas été élevés à la gloire de l'autel, ils ne sont ni saints ni martyrs au sens officiel du terme. Néanmoins, l'exemplarité de leur vie en fait à nos yeux un modèle en ces temps où notre Wallonie a tant besoin de courage...


“Dit kruis zullen wij verdedigen.
Als het moet met ons bloed!”

« Cette croix, nous la défendrons, s’il le faut au prix de notre sang! »

Ces quelques mots ont été écrits par deux jeunes frères de l’abbaye du Val-Dieu dans leur journal clandestin, La Tribune Libre, le 15 août 1941. Ils commentaient une image représentant d’un côté la croix du Christ, de l’autre l’emblème nazi. Les frères Hugo Jacobs et Etienne Muhren se disaient prêts à défendre le Christ jusqu’à la mort. C’est ce qu’ils firent !

Voici, pour la première fois en français, leur histoire…
Karel (Hugo) Jacobs est né le 17 novembre 1900 à Anvers. Il suivit des études de sciences commerciales et se préparait à faire carrière dans les affaires lorsqu’il comprit sa vocation. Il fit son noviciat chez les Prémontrés, puis arriva à l’abbaye cistercienne du Val-Dieu où il fut élevé à la prêtrise le 21 octobre 1932.
Piet (Etienne) Muhren, quant à lui, est né le 14 septembre 1908 à Bergen-op-Zoom. Il se destinait à la carrière d’instituteur lorsqu’il entendit l’appel du Seigneur. Il entra alors chez les Cisterciens. En 1933, les deux frères participèrent à un voyage aux Etats-Unis destiné à vérifier la viabilité d’une nouvelle fondation. De retour au Val-Dieu, Etienne fut ordonné prêtre le 5 juillet 1936.
Ils obtinrent rapidement des postes de professeur : Etienne enseignait la dogmatique, le droit canon et la philosophie, Hugo l’histoire de l’Eglise. Hugo fut également nommé conservateur du musée de l’abbaye qui comptait une des plus belles collections de gravures d’Europe. Hugo devint en outre maître des novices et, à ce titre, il eut un différend avec le père abbé : Hugo trouvait que le Val-Dieu privilégiait trop ses activités spirituelles au détriment de la formation et du recrutement des novices. Il lança un matin dans la salle du chapitre : « Anders sterft Val-Dieu uit ! », si nous n’orientons pas davantage notre travail vers les novices, Val-Dieu mourra !
Puis la guerre vint, dont ils ne devaient pas voir la fin.
Tout commença pour eux par la mise au point d’un réseau d’évasion destiné aux prisonniers de guerre belges et français. Profitant du fait que de nombreux trains en provenance d’Aix-la-Chapelle faisaient une halte technique en gare de Montzen, la résistance naissante tentait de multiplier les exfiltrations en se basant sur le plateau de Herve. L’abbaye du Val-Dieu, de par sa situation équidistante de Liège, Maastricht et Aix, devint assez vite une plaque tournante dans ce dispositif. Frère Hugo Jacobs, qui prêchait souvent à Aubel et ne cachait pas son aversion pour le nazisme, multiplia les contacts afin de faciliter la dissimulation de Français dans les fermes des environs. Le frère Etienne Muhren fit de même à Remersdael. Les deux moines accueillaient également des fugitifs dans une grange de l’abbaye, où ils les nourrissaient grâce aux aides reçues des fermiers du coin.
Tout à côté, Pol Nolens, prêtre à Charneux, abritait les prisonniers fugitifs et les pilotes alliés dont les avions avaient été abattus juste avant leur évacuation vers Liège via la ligne 38 au départ de Herve. Pol Nolens hébergea ainsi des centaines de fugitifs, ainsi que des Juifs. A Charneux également, les Sœurs de la Miséricorde cachaient des enfants juifs.
Etienne, Hugo et Pol Nolens décidèrent alors de diffuser un journal clandestin qu’ils reproduisaient sur stencils à Charneux. Ce journal avait trois éditions : La Tribune Libre en français, Het Vrije Woord en néerlandais et Das Freie Wort en allemand. Ils dénonçaient ainsi, dans les trois langues nationales, les méfaits du nazisme.
Mais leurs activités ne s’arrêtaient pas là ! Les deux frères pratiquaient également l’espionnage pour le compte des Alliés dans le cadre des activités du groupe Clarence, fondé par Walthère Dewé. Leur travail consistaient à renseigner les activités ferroviaires allemandes dans la zone des trois frontières. C’est ainsi qu’Etienne devint « agent promeneur ». Son rôle consistait à circuler le long des frontières et à transmettre ce qu’il observait. Pour ne pas éveiller les soupçons, il se faisait passer pour un représentant en bas pour dames !
Etienne entra également en contact avec Jules Goffin de Fouron-le-Comte, responsable local de la résistance qui sera fusillé en même temps que lui, et avec Jeanne Claessens sa collaboratrice. Les nombreuses visites qu’Etienne rendit à Jeanne, la plupart du temps à vélo lui vaudront le surnom de « Père Amoureux ».
Assez vite, Hugo et Etienne s’aperçurent du danger et confièrent le travail de liaison à un jeune fermier de Wadeleux, Guillaume Flechet.
On installa également un poste émetteur dans l’abbaye.
Noël 1942. Jules Goffin est contraint d’arrêter ses activités. Aussitôt, Etienne le remplace et reprend la direction du réseau. Mais l’étau se resserre. A plusieurs reprises, les nazis envoient des espions à l’abbaye.
Le 18 mars 1943, la Geheime Feldpolizei débarque au Val-Dieu. Ses agents demandent à rencontrer Hugo et Etienne. Ils arrêtent Etienne et, comme Hugo est absent, ils emmènent également le père abbé dans leurs bureaux du boulevard Piercot à Liège. Le 19 mars, Hugo est arrêté à son tour. Grâce aux témoignages d’Etienne et de Hugo qui certifient que leur abbé ignorait tout de leurs activités ainsi qu’à l’intervention personnelle d’Alexandre von Falkenhausen, habitué de l’abbaye et responsable du haut-commandement militaire en Belgique, l’abbé du Val-Dieu pourra être relâché.
Les deux frères vont alors connaître l’enfer des interrogatoires des polices secrètes du Reich. Pour finir, ils seront tous les deux condamnés à mort et fusillés dans un fort d’Utrecht le 9 octobre 1943. Leurs corps ont été incinérés.
Dans la basilique du Val-Dieu, une stèle invite le pèlerin à se souvenir d’eux.

Qu’ils demeurent en nous comme une lumière, une preuve qu’aucune situation, aussi tragique et injuste soit-elle, ne doit nous empêcher de faire du bien.
Terminé ce 20 décembre 2006, en la fête de saint Ursan, Ursicin ou Ursanne, compagnon de saint Colomban.

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